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Débat au sujet de la libération conditionnelle en Algérie

Des juges et des avocats estiment que le système de libération conditionnelle est restreint par des interprétations jurisprudentielles qui entravent son application

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Photo: EL Khabar
Photo: EL Khabar

Le système de libération conditionnelle en Algérie souffre-t-il de problèmes pratiques malgré la clarté du cadre juridique ? Selon Issad Mabrouk, actuellement juge à la Cour suprême et ancien président du Syndicat national des magistrats, la question soulève une problématique qu’il a pris l’initiative de soumettre au débat sur son compte Facebook. Ce débat survient dans le contexte d’un appel du ministère de la Justice aux magistrats pour « traiter positivement » les demandes des détenus condamnés de manière définitive souhaitant bénéficier du système de libération conditionnelle. C’est ce qu’a écrit le juge, sans toutefois préciser à quel moment le ministère a transmis cette recommandation aux juges en charge de ce système. On devine, d’après le contexte, que cette instruction est récente.

À l’origine de cette controverse, se trouvent les plaintes de nombreux avocats dénonçant les « difficultés » qu’ils rencontrent pour faire bénéficier certains de leurs clients détenus de ce droit légal. Ces difficultés proviennent, selon leurs déclarations, du refus de la justice de répondre favorablement à leurs demandes, alors même que la loi le permet. Les affaires concernées touchent en grande partie des personnes condamnées à de lourdes peines de prison pour des accusations de corruption.

Il est bien connu des spécialistes que la libération conditionnelle est régie par la loi n° 05-04 du 6 février 2005 relative à l’organisation des établissements pénitentiaires et à la réinsertion sociale des détenus.

Encouragement des juges à se libérer de leurs "inquiétudes"

Mabrouk estime que « certains points importants restent bloqués, notamment le refus des commissions locales ou nationales d’accéder aux demandes concernant certains délits, bien que la loi ne les exclue pas de son champ d’application. Le motif avancé est que les infractions non couvertes par les décrets de grâce présidentielle sont automatiquement exclues du droit à la libération conditionnelle — ce qui constitue un raisonnement fallacieux et infondé, car les raisons, objectifs et justifications de la grâce diffèrent complètement de ceux de la libération conditionnelle. »

Il a également déclaré que « Le travail du juge, que ce soit durant l’enquête, le procès ou l’exécution de la peine, est régi par le principe de légalité : ce que la loi n’interdit pas reste permis. Les magistrats doivent donc se libérer des appréhensions illégitimes qui entravent certains d’entre eux, sans se cacher derrière une quelconque pression — souvent imaginaire ou surévaluée. » 

« La théorie de la défense sociale, adoptée par le législateur, fait de la peine un moyen de réformer le condamné et de faciliter sa réinsertion sociale. Une fois cet objectif atteint, la détention devient un fardeau social inutile et une souffrance inhumaine pour le détenu et ses proches. » poursuit-il.

 « Je ne plaide pas pour la clémence envers les criminels endurcis, mais la justice exige de la rigueur envers ceux qui ne peuvent être réformés, et de la compassion envers ceux qui se sont repentis. Comme on dit : La loi est au-dessus de tous par le texte, la justice est au-dessus de la loi dans la pratique, et la miséricorde précède le châtiment dans la religion. » a-t-il tenu à préciser.

Concernant les conditions de la libération conditionnelle l’avocat Abdelghani Badi, dans une a évoqué dans une déclaration au site El Khabar, l’article 134 de la loi sur l’organisation des prisons, qui définit les conditions pour bénéficier de la libération conditionnelle : la peine doit être d’un an ou plus, la durée effective de détention ne doit pas être inférieure à six mois, le jugement doit être définitif et les amendes réglées, le temps de peine restant doit être inférieur à deux ans. Si le reste de la peine dépasse deux ans, le dossier est transmis au ministère de la Justice pour examen. Le détenu doit avoir purgé la moitié de sa peine s’il est primo-condamné (sans antécédents judiciaires), ou les deux tiers s’il est récidiviste. Le détenu ne doit pas avoir déjà bénéficié d’une libération conditionnelle, et les périodes de grâce sont prises en compte dans le calcul du temps de détention.

Un nouveau cadre légal pour limiter les interprétations

Badi remarque que la loi sur les prisons ne précise pas les infractions exclues de la libération conditionnelle, mais en pratique, depuis 2005 (année d’entrée en vigueur de la loi), de nombreuses infractions sont exclues sans base légale. Cela est laissé à l’appréciation de la commission présidée par un juge de l’application des peines, avec un droit d’appel du parquet.

Il souligne que « le rejet des dossiers en fonction du type de crime est non prévu par la loi. C’est une interprétation controversée, d’autant qu’on écarte souvent automatiquement les infractions non couvertes par les décrets de grâce. Cela est incompréhensible. »

Selon lui, une loi claire et détaillée sur le sujet permettrait d’élargir et de faciliter l’application de cette mesure, en l’éloignant des interprétations subjectives. Il insiste que la sécurité juridique repose sur des textes clairs et précis, et que la loi actuelle se limite à des conditions formelles, sans clarifier les conditions de fond relatives aux infractions.

De son côté, l’avocat Tarek Merah affirme que « l’exclusion de certains délits de la libération conditionnelle n’est pas prévue dans la loi sur l’organisation des prisons. Le refus des commissions de répondre favorablement aux demandes des détenus constitue une violation de la Constitution et de la loi, car la Constitution garantit l’égalité devant la loi et l’égalité en droits et devoirs. » 

Il ajoute que « le rejet de ces demandes est devenu une sorte de pratique systématique par ces commissions, qui devraient se conformer strictement aux articles de loi, et accepter les demandes si les conditions sont remplies. Car la peine a pour objectif d’intégrer à nouveau les condamnés dans la société, lorsque cela est possible. »

Il appelle à modifier la loi dans sa partie consacrée à la libération conditionnelle, pour lui donner plus de clarté et de force obligatoire.

Enfin, l’avocat Abderrahmane Salah estime que « le système dans son ensemble nécessite une révision de fond. Avant même de penser à réformer la libération conditionnelle, il faut s’interroger sur les raisons du taux élevé de condamnations dans les jugements pénaux, où les acquittements sont très rares. » 

Il considère que « la présomption d’innocence, garantie par la loi, est souvent ignorée, ce qui est en contradiction avec les principes fondamentaux du droit. »

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