Nation

«M. Le président…, n’allez pas en Irak »

La demande de refuser l’invitation du président irakien ne reflète en rien une position hostile du peuple algérien envers l’Irak frère, un pays qui occupe une place très particulière dans le cœur des Algériens.

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Depuis quelques heures, un discours inhabituel émerge de la base populaire en Algérie, s’adressant directement au sommet de l’État, en l’occurrence au Président de la République, Abdelmadjid Tebboune. Celui-ci fait aujourd’hui l’objet d’un appel citoyen pressant à ne pas répondre favorablement à une invitation diplomatique pourtant jugée d’une grande importance aux niveaux régional et international. Mais que motive cette demande populaire soudaine?

Depuis lundi, le hashtag (Tebboune, ne va pas en Irak) s’est largement propagé sur les réseaux sociaux, exprimant une requête explicite, directe et soigneusement formulée : celle de décliner l’invitation officielle du président irakien, Abdel Latif Jamal Rashid, à assister au sommet arabe prévu à Bagdad à la mi-mai.

L’analyse du contenu de nombreuses publications accompagnant ce mot-clé révèle une forte conscience populaire face aux mouvements de multiples lobbies actifs au Moyen-Orient, notamment sionistes, américains, français et arabes. Ces groupes n’hésitent pas, selon les internautes, à transformer la "terre de Tigre et d’Euphrate" en théâtre d’opérations pour des règlements de comptes géopolitiques, visant à neutraliser les acteurs perçus comme dérangeants ou hostiles à leurs intérêts politiques, économiques ou militaires.

“Tebboune ne s’aventure pas”

La prise de conscience des Algériens face aux évolutions régionales rapides et préoccupantes, dans un contexte de ce qu’ils considèrent comme une trahison arabe-arabe, reflète une maturité grandissante de l’opinion publique face aux défis sécuritaires et politiques auxquels le pays est confronté. Cette conscience citoyenne, fondée sur un fort sentiment de responsabilité nationale, a poussé de nombreux Algériens à exprimer — à travers le hashtag « Tebboune ne va pas en Irak » — une position claire : la sécurité du Président de la République, Abdelmadjid Tebboune, est une priorité nationale qui ne souffre aucune prise de risque.

Et bien que les relations entre l’Algérie et l’Irak soient empreintes d’un respect mutuel et d’une amitié historique, cet appel populaire ne vise aucunement à offenser ce pays frère. Bien au contraire, l’Irak demeure l’un des pays arabes les plus chers au cœur des Algériens, juste après la Palestine. À titre d’exemple, le président irakien Abdel Latif Jamal Rachid fut parmi les premiers dirigeants à assister au sommet de la Ligue arabe à Alger en 2022, ainsi qu’à celui du gaz à Alger en mars 2024, illustrant la profondeur des liens entre les deux nations.

Cependant, dans le contexte régional extrêmement délicat, marqué par des manœuvres suspectes et des alliances instables, cet appel populaire reflète une inquiétude réelle quant au fait que le sommet arabe prévu à Bagdad pourrait devenir une scène de règlements de comptes politiques ou géostratégiques, mettant potentiellement en danger des personnalités de premier plan comme le président Tebboune.

C’est pourquoi cette position exprimée par de nombreux citoyens est empreinte de prudence et de lucidité, d’autant plus que les résultats du sommet sont, selon eux, déjà connus d’avance.

« Nous n’avons pas oublié Boumediene et Mohamed Seddik Benyahia »

Dans une vidéo devenue virale, une citoyenne s’adresse au président Tebboune avec insistance, le suppliant de ne pas se rendre en Irak. Elle évoque deux événements marquants et tragiques de l’Histoire algérienne, dont le plus emblématique reste la mystérieuse mort de l’ancien président Houari Boumediene, survenue peu de temps après une visite officielle en Irak en 1978. Certains ont, par la suite, associé cette visite à la thèse d’un empoisonnement, bien qu’aucune preuve concrète n’ait jamais été apportée.

Le second événement tragique est lié à l’ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Seddik Benyahia, qui dirigeait une délégation algérienne de 13 diplomates dans le cadre d’une médiation pour arrêter la guerre entre l’Iran et l’Irak. Leur avion fut abattu par un missile irakien en 1982, causant leur mort.

Avec la diffusion rapide de cette vidéo, la campagne de soutien au hashtag « Tebboune ne va pas en Irak » a pris de l’ampleur, les internautes estimant que, malgré l’amitié historique avec l’Irak, ce pays représente aujourd’hui une zone à haut risque, en raison de la forte présence militaire et des services de renseignement étrangers.

"Nous appelons le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, à ne pas assister au sommet arabe prévu à Bagdad à la mi-mai, en raison du contexte régional extrêmement complexe. Le Moyen-Orient connaît une escalade sanglante menée par Israël contre Gaza, ainsi que des bouleversements politiques et sécuritaires dans plusieurs pays arabes. À cela s’ajoutent des préoccupations sécuritaires... et de mauvais souvenirs liés aux précédents sommets arabes organisés en Irak", a écrit Mansour Moustafa sur sa page Facebook.

De son côté, Abdelkader écrit : « L’Irak… une visite entourée de feu. Lorsque le président algérien pose le pied sur le sol irakien, il n’entre pas dans un État pleinement souverain... mais dans une zone grise où les services de renseignement du monde entier s’affrontent dans l’ombre. De Washington à Téhéran, de Tel-Aviv à Ankara… chacun y a ses espions. Chacun tient une arme. Chacun attend la scène en direct qui pourrait embraser le Moyen-Orient. »

À noter que si le président Tebboune venait à effectuer cette visite en Irak, il serait le premier président algérien à s’y rendre depuis le décès de Boumediene. Toutefois, le climat d’insécurité actuel rendrait cette visite encore plus risquée que celle de 1978, donnant ainsi au hashtag « Tebboune ne va pas en Irak » une légitimité populaire forte visant à protéger le président contre tout danger potentiel.

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