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Les Algériens suivent de près l’évolution de la crise avec Paris

El Khabar a sondé l’opinion des Algériens, dans la rue et sur les réseaux sociaux, au sujet de la crise avec la France.

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D.R
D.R

La crise diplomatique entre l’Algérie et la France a connu une forte escalade ces derniers jours, à la suite des déclarations du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, considérées comme une provocation directe à l’égard de l’Algérie et une rupture quasi totale des usages diplomatiques.

Les Algériens, tant à l’intérieur qu’à l’étranger, suivent avec inquiétude cette escalade, qui menace une relation historique marquée par le sang de plus de 1,5 million de martyrs.

Beaucoup estiment que ce qui se passe dépasse les différends traditionnels, et reflète une volonté de la droite française extrême de détériorer les relations avec l’Algérie.

La situation est d’autant plus sensible qu’environ 5 à 6 millions d’Algériens vivent en France, en plus de 10 à 12 % de la population française étant d’origine algérienne, selon les statistiques officielles.

Une crise avec l’extrême droite française

Omar, entraîneur sportif, affirme qu’« il ne faut pas confondre, en analysant la crise entre Paris et Alger, entre la France en tant qu’État et l’extrême droite comme courant politique qui cherche à raviver les points de discorde entre les deux pays chaque fois que des voix sages tentent de les apaiser, et ce, au service de ses intérêts politiques étroits qui ne représentent pas tout le peuple français ni ses institutions, ni ses politiciens ou ses médias. »

Il a fermement rejeté la violation des conventions internationales et des accords consulaires encadrant le traitement des dossiers migratoires avant toute expulsion illégale. Il a reconnu le droit de l’Algérie à défendre ses décisions souveraines, mais a averti que la crise avait atteint un niveau de gravité inquiétant, avec des répercussions potentielles sur les relations économiques – même si, selon lui, la France en subirait les plus lourdes conséquences.

Il a ajouté que « les orientations de l’extrême droite française risquent d’être la cause directe de l’isolement de la France et du recul de son rôle sur les scènes internationale et régionale ».

« Prépare-toi à recevoir notre réponse »

Mohamed, employé dans une entreprise publique, cite le vers du poème de Moufdi Zakaria, repris dans l’hymne national algérien « Ô France, voici le jour des comptes, prépare-toi à recevoir notre réponse », estimant que ce vers décrit parfaitement la crise actuelle avec la France, qui n’avait jamais été aussi humiliée par l’Algérie depuis l’indépendance en 1962.

Il affirme que l’Algérie, dans sa nouvelle ère, a choisi de redéfinir ses relations extérieures selon ses intérêts, en adéquation avec les mutations internationales caractérisées par de nombreuses turbulences. « La France sera peut-être la première à découvrir ce que signifie la ‘Nouvelle Algérie’ », conclut-il en plaisantant.

« Nous voulons une position algérienne plus ferme »

De son côté, Abdelkader M., professeur au collège, estime que « l’Algérie devrait adopter une position plus tranchée que lors des précédentes crises afin de faire pression sur Paris pour qu’elle mette fin aux déclarations irresponsables de figures de l’extrême droite comme le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau ».

Il a qualifié la décision d’arrêter l’écrivain Boualem Sansal de « juste, car c’était un responsable algérien avant de devenir citoyen français ». Concernant l’affaire Amir DZ, il déclare « Même si la version française est exacte, l’arrestation d’un diplomate algérien est injustifiée, et ce n’est certainement pas à l’avantage de la France. »

Il s’interroge « Pourquoi Macron n’a-t-il pas exprimé une position claire sur son ministre de l’Intérieur s’il veut vraiment tourner la page de la crise ? » Et conclut « C’est la France qui a créé la crise et l’a intensifiée. C’est donc elle de la résoudre. »

L’Algérie ne mettra pas ses immigrés en danger

B. Walid, étudiant à l’École de journalisme, déclare qu’il ne s’est pas beaucoup impliqué dans la crise, mais qu’il est convaincu que la France en est à l’origine, « car elle a permis à ceux qu’on appelle les enfants de la France de s’attaquer à notre pays ».

Concernant l’affaire Sansal, l’étudiant S. M., en troisième année de « communication institutionnelle », estime que cet écrivain proche de l’extrême droite « a tenu des propos très provocateurs et dangereux… Il a déformé l’histoire de l’Algérie et sa carte géographique, et l’Algérie a le droit de le poursuivre car il est algérien avant d’être français », faisant allusion à ses propos selon lesquels certaines régions de l’ouest algérien « appartiennent historiquement au Maroc ».

Une inquiétude parmi les étudiants

Sara, étudiante en lettres et langues étrangères, se dit préoccupée par l’avenir des relations entre Alger et Paris, à cause des provocations répétées de l’extrême droite, alimentées par les médias français soutenant ce « courant raciste ». Elle envisageait de poursuivre ses études à Paris et rejoindre des membres de sa famille là-bas.

Son inquiétude majeure : que l’administration française utilise les migrants algériens comme carte de pression contre l’État algérien, notamment les étudiants ayant choisi de faire leurs études supérieures en France, en raison de la langue, de la proximité géographique et des liens historiques qui ne peuvent être effacés du jour au lendemain.

Elle croit néanmoins que les autorités algériennes ne laisseront pas tomber leurs citoyens à l’étranger. « Depuis l’élection du président Abdelmadjid Tebboune, elles ont toujours soutenu la diaspora algérienne, partout dans le monde, pas seulement en France. Mais l’avenir est incertain. Personne n’aurait pu prévoir une telle escalade. »

Soutien populaire en ligne

Sur les réseaux sociaux, une large majorité d’Algériens a exprimé son soutien à la position ferme du pays.

Le journaliste Ayoub Amezian a commenté que «la France a fait sortir le Bigeard qu’elle porte en elle. L’Algérie a répondu avec son Ben M’hidi. L’essentiel, c’est vive l’Algérie. »

De son côté, le médecin et syndicaliste connu, Lyes Merabet, a interrogé : « Pourquoi ceux que j’appelle les ‘sansalistes’ insistent-ils sur le fait qu’il ne faut pas emprisonner les personnes âgées ou malades ? Sur quelle base ? »

Une crise enracinée dans le passé

Beaucoup d’Algériens estiment que les tensions actuelles ne datent pas d’hier, mais remontent à plusieurs années, lorsque l’Algérie a commencé à adopter une politique visant à relancer son économie et à renforcer son rôle diplomatique dans une région en proie à de nombreuses crises.

Cette orientation inclut la quête de l’autosuffisance, la garantie de la sécurité nationale et la réduction de l’influence française dans les secteurs stratégiques. Cela a été perçu par Paris comme une menace directe à ses intérêts.

Beaucoup y voient une tentative délibérée de créer des crises pour déstabiliser l’Algérie ou freiner ses ambitions — une vision partagée par de nombreux Algériens, et même par certaines voix modérées en France.

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