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Dans sa première réaction à la crise sans précédent qui secoue les relations algéro-françaises, l’archevêque de l’Église catholique d’Alger, le cardinal Jean-Paul Vesco, a exprimé sa colère et son inquiétude face aux "déclarations extrémistes de certains politiciens français". Il a précisé que cette crise n’a aucun impact sur la vie de l’Église en Algérie, mais qu’elle l’a "touché personnellement, en tant que citoyen franco-algérien, ainsi que de nombreuses personnes qu’il côtoie quotidiennement".
Promu récemment au rang de cardinal – devenant ainsi le premier religieux à occuper ce poste depuis le cardinal Duval dans les années 1950 –, Vesco considère que la position française est "humiliante et injuste", ravivant "une blessure profonde dans la mémoire algérienne dont l’ampleur ne peut se mesurer qu’au regard d’une longue histoire de vie commune".
Dans un entretien accordé au journal français La Croix, spécialisé dans les affaires religieuses, le prélat a longuement analysé la crise. Il a notamment dénoncé le ton menaçant du ministre français de l’Intérieur, estimant que ses propos "s’apparentaient à des ordres adressés aux autorités algériennes, alors que l’Algérie ne s’est jamais soumise à ce genre de discours, surtout lorsqu’il provient de la France".
En revenant sur les origines de cette crise, Vesco affirme que "tout en Algérie repose sur une relation de confiance, et cette confiance a été trahie par le changement de position de la France sur la question du Sahara occidental, qui est hautement symbolique". Selon lui, cet élément reste "le point de départ du conflit actuel".
Interrogé sur le refus algérien de la liste des personnes expulsées de France, il a reconnu que les préoccupations sécuritaires françaises sont légitimes, car "chaque pays cherche à se protéger". Toutefois, il a souligné qu’il est essentiel d’analyser les racines du problème bien en amont, dans le passé colonial non assumé.
Pour Vesco, l’origine des tensions entre les deux pays réside dans le fait que la France n’a jamais pris conscience des "conséquences dévastatrices du colonialisme sur les populations, de génération en génération". Il estime que les relations franco-algériennes sont ainsi restées précaires depuis 60 ans, oscillant "d’une crise à une autre, d’une tentative de réconciliation à une autre". C’est dans ce contexte qu’est née la crise des expulsions, et il juge que la solution passe par "une confrontation honnête avec cette réalité, plutôt que de tenter de tordre le bras de l’État algérien en vain".
Naturalisé algérien il y a trois ans par décret présidentiel, Vesco refuse toutefois de réduire la question migratoire aux seules séquelles du colonialisme. Il reconnaît que d’autres facteurs sont en jeu, comme le passage du temps et l’évolution des dynamiques sociales. Mais pour lui, tout cela ne peut être traité qu’"après une véritable réconciliation mémorielle", car "le colonialisme a été un viol d’un peuple à travers la négation de son identité, de son histoire, le pillage de ses terres et une domination humiliante".
En résumé, il estime que les relations franco-algériennes sont marquées par un "lien non réglé entre un agresseur et un agressé", et il espère voir les présidents Tebboune et Macron devenir "les architectes de cette réconciliation historique".
Interrogé sur l’affaire de l’écrivain Boualem Sansal, le cardinal a mis en garde contre toute tentative d’en faire un "casus belli" entre les deux États, car cela compliquerait encore plus la situation et "rendra toute initiative humanitaire de la part des autorités algériennes quasi impossible", celles-ci refusant toute "imposition de règles extérieures".
Quant à la possibilité d’une rupture totale entre Alger et Paris, il a averti que ce serait "une voie suicidaire pour la France", car ses conséquences ne se limiteraient pas à une dégradation des relations diplomatiques. Selon lui, un tel scénario entraînerait également "un divorce silencieux de millions de musulmans français et de Franco-Algériens, souvent bien intégrés dans leur pays de résidence".
Enfin, concernant un éventuel rôle de l’Église dans l’apaisement des tensions, Vesco a insisté sur le fait que l’Église n’a pas de mission politique et que, pour la grande majorité de ses membres en Algérie, "la relation avec la France n’est pas une priorité".