Hassane Abidi prévoit une issue honorable à la crise avec Paris

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Face aux tensions inédites entre l'Algérie et la France, exacerbées par les récentes déclarations des présidents des deux pays, le politologue et directeur du Centre d’études sur le monde arabe et méditerranéen à Genève, Hosni Abidi, analyse dans un entretien avec El Khabar les scénarios de sortie de crise et les marges de manœuvre disponibles pour un retour à la normale.
Selon l’historien français Benjamin Stora, les relations entre Alger et Paris ont atteint un niveau de tension sans précédent. L’emploi de termes comme « guerre » et « agression » par le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, illustre l’ampleur du fossé qui s’est creusé entre les deux capitales. De son côté, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a imputé la crise à l’alignement de la France sur le Maroc dans le dossier du Sahara occidental, tout en considérant son homologue Emmanuel Macron comme l’unique interlocuteur légitime pour sortir de l’impasse.
Pour Hosni Abidi, cette crise survient dans un contexte politique français particulièrement délicat. Emmanuel Macron traverse une période de grande vulnérabilité, notamment en raison de l’instabilité gouvernementale. La coalition menée par François Bayrou peine à maintenir son équilibre, et le président doit jongler avec une extrême droite en position de force, capable de faire chuter l’exécutif en cas de désaccord avec Matignon.
Cette situation contraint Macron à une prudence extrême et limite considérablement ses marges de manœuvre en matière de politique étrangère, en particulier sur le dossier algérien, qu’il a pourtant toujours tenu à gérer en priorité.
Face à l’escalade, le chef de l’État français a réagi à deux reprises, d’abord à Lisbonne, puis à Bruxelles. Il a tenu à se démarquer des propos de son ministre de l’Intérieur, affirmant son opposition à toute sortie unilatérale de l’Accord de 1968 encadrant les visas et la circulation des Algériens en France.
Du côté algérien, Abdelmadjid Tebboune a, lors d’un entretien avec un média français, réclamé une position claire et officielle de la part de Macron. Cette demande a été perçue par certaines élites françaises comme un signe d’ouverture à une désescalade et à un éventuel réajustement diplomatique, afin d’éviter une rupture définitive entre les deux pays.
Si des signaux semblent indiquer une volonté de calmer le jeu, l’évolution de la situation dépendra des choix politiques des deux présidents et de leur capacité à contenir les tensions internes qui influencent leurs décisions. Une initiative diplomatique commune pourrait permettre d’éviter un effondrement des relations bilatérales, mais les divergences profondes, notamment sur les questions mémorielles et stratégiques, risquent de compliquer tout retour rapide à la normale.

La porte-parole du gouvernement français, Sophie Primas, a salué les déclarations du président Tebboune et les a considérées comme un signal positif. Assiste-t-on aux premiers signes d’un dégel dans la crise ? Existe-t-il des issues de compromis malgré la complexité des dossiers en suspens ?
Bien que les relations entre l’Algérie et la France aient atteint un niveau de détérioration sans précédent, les récentes déclarations du président Tebboune constituent un indicateur encourageant quant à la volonté des deux chefs d’État de trouver une issue honorable à la crise. Certes, les différends restent nombreux et complexes, et ils ne datent pas d’hier, mais un retour aux relations telles qu’elles étaient avant l’escalade des tensions représenterait un progrès significatif.
Par ailleurs, une issue judiciaire dans l’affaire de l’écrivain Boualem Sansal pourrait sans doute jouer un rôle clé dans la stabilisation des relations entre Alger et Paris. Une telle évolution permettrait également au président Macron de s’en servir comme un atout politique en France, notamment pour reprendre en main le dossier algérien, qui est aujourd’hui largement influencé par le ministre de l’Intérieur.

Le président Tebboune a remis en question la neutralité du concept de liberté d’expression, un principe sur lequel la France s’appuie pour réclamer la libération de Boualem Sansal. De son côté, Alger considère cette affaire comme une atteinte à sa souveraineté et à sa sécurité nationale. Peut-on alors espérer un rapprochement des points de vue ?
Le cas de Boualem Sansal est particulièrement complexe, car il illustre les divergences fondamentales entre les approches algérienne et française en matière de liberté d’expression et de sécurité nationale. Pour l’Algérie, l’écrivain est un citoyen algérien et non français, ce qui justifie un traitement basé sur les lois nationales, contrairement à la perception française actuelle.
Malheureusement, l’instrumentalisation de cette affaire a contribué à nourrir la crise entre les deux pays, offrant à certains acteurs une opportunité d’en faire un levier de pression. Or, les tensions entre Alger et Paris ne datent pas de cette affaire : elles ont connu plusieurs moments clés, notamment autour du dossier mémoriel et de la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, une position qui, selon Alger, est en contradiction avec les obligations de la France en tant que membre permanent du Conseil de sécurité.
Dans ce contexte, il semble essentiel de dissocier les différents dossiers et d’éviter toute confusion entre eux. Chaque question mérite d’être traitée séparément afin de faciliter la recherche de solutions viables. La priorité, pour l’heure, reste d’empêcher une détérioration supplémentaire des relations bilatérales et de trouver un cadre propice au dialogue.

Dans son récent discours adressé à la communauté algérienne établie en France, le président Abdelmadjid Tebboune a tenu à la rassurer, tout en insistant sur l’importance du respect des lois du pays d’accueil. Quels messages peut-on tirer de cette déclaration ?
Le président Tebboune accorde une attention particulière à la question des migrants algériens en France, une priorité qui s’est manifestée dès son premier mandat. Ce que la diaspora peut apporter à son pays d’origine, celui de ses parents ou de ses grands-parents, est fondamental tant pour le développement économique de l’Algérie que pour sa renaissance globale.
L’Algérien vivant à l’étranger est également un citoyen européen. L’idée d’une citoyenneté multiple est essentielle, et la défense de cette approche est primordiale. Ainsi, les affaires concernant les Algériens doivent être traitées par la justice des pays européens, car ils y sont aussi considérés comme citoyens à part entière.
Dans ce contexte, l’importance du respect des lois locales est mise en avant afin d’éviter toute interprétation d’ingérence algérienne dans les affaires internes d’un autre pays, un principe auquel Alger elle-même ne tolérerait pas d’exception. Le rôle de l’Algérie se limite donc à garantir la protection diplomatique et consulaire de ses ressortissants, tout en tenant compte du fait qu’ils sont également des citoyens européens, bénéficiant des mêmes droits et soumis aux mêmes devoirs que tous les autres citoyens.