Il ne fait aucun doute que sa voix est l'une des plus puissantes et influentes en France lorsqu'il s'agit de défendre l'Algérie, sa communauté et sa mémoire coloniale douloureuse. Sabrina Sebaïhi, députée française de la circonscription d'Evry-sur-Seine en banlieue parisienne, incarne le modèle du politique engagé qui porte une cause juste sans jamais faire de compromis, même lorsqu'elle nage à contre-courant.
Cette femme au regard déterminé et à l'éloquence frappante lorsqu'elle prend le micro à l'Assemblée nationale, s'oppose courageusement et rationnellement aux discours de la droite, ce qui lui a souvent valu des menaces et des insultes. Elle a remporté de nombreuses victoires tactiques au cours de son parcours, comme la reconnaissance des crimes du 17 octobre 1961 et l'ouverture du dossier des massacres du 8 mai 1945... Tout cela dans le cadre de sa grande bataille : obtenir une reconnaissance totale et explicite par la France de ses crimes en Algérie.
Dans cet entretien exclusif à "El Khabar", qu'elle a accordé à la dernière minute en raison de son agenda chargé, Sabrina Sebaïhi, qui se définit comme la fille de l'Algérie, parle avec passion et colère du discours haineux qui vise l'Algérie en France au quotidien. Elle attaque le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, fer de lance de cette guerre psychologique, et critique l'incapacité du ministre des Affaires étrangères à le remettre à sa place. Elle évoque ses projets futurs concernant la mémoire et le projet de loi sur la criminalisation du colonialisme que le Parlement algérien entend adopter, et elle affirme que l'Algérie et la France sont liées par des millions de fils communs, et qu'elles sont deux pays condamnés à coexister dans l'amitié et la paix.
Les relations entre l'Algérie et la France se détériorent de manière frappante, comment gérez-vous cette période difficile, et quels en sont les impacts potentiels sur la communauté algérienne ?
Cette situation ne correspond ni à l'instant ni à l'histoire, il est évident que l'image de l’algérien est utilisée par une partie de la droite et de l'extrême droite comme un bouc émissaire pour les problèmes du pays. Je lance un avertissement officiel : "Nous savons par l'histoire que ce genre de discrimination et de stigmatisation ne finit jamais bien."
Où en sont le président Macron, le ministre des Affaires étrangères et le Premier ministre dans cette crise ? Et pourquoi laissent-ils le champ libre à M. Retailleau ? S'agit-il d'un véritable désaccord de visions ou d'une simple répartition des rôles ?
Bruno Retailleau aborde l'histoire de la France avec l'esprit d'un enfant jouant avec des soldats en plomb dans sa chambre, il considère que le colonialisme était une grande chose et une page brillante de l'histoire de la France, car nous - selon lui - avons apporté au peuple "sauvage et arriéré" toutes sortes de routes et d'infrastructures... Le président français a une approche différente et l'a exprimée clairement, M. Barrot (le ministre des Affaires étrangères) a également un point de vue différent, et il serait préférable qu'il l'exprime plus fort, car les gens commencent à se demander si Bruno Retailleau cherche à annexer le Quai d'Orsay en plus de l'Algérie (commente de manière sarcastique). Quant au fond du sujet, nous avons un problème avec les personnes soumises à des mesures d'expulsion, et il est logique que les pays collaborent pour organiser leur retour conformément au droit international applicable à tous deux.
D'un point de vue technique, lorsque vous comparez les demandes de la France avec les réponses du ministère des Affaires étrangères algérien, qui a raison selon vous ?
D'un point de vue technique, le jugement du tribunal contre le ministre (elle fait référence au cas de l'influenceur Doualemn), on ne peut pas expulser les gens comme si on envoyait un colis par la poste. Cependant, il est vrai qu'une grande partie de l'opinion publique française ne comprend pas pourquoi les pays étrangers, comme l'Algérie et d'autres, ne récupèrent pas leurs ressortissants expulsés qui ont commis des crimes. Il faut écouter cette inquiétude, mais nous n'accepterons jamais que cela soit utilisé comme prétexte pour stigmatiser et insulter les Algériens ou tout autre étranger par vengeance ou racisme.
Depuis le début de la crise, l'Assemblée nationale française a connu des débats houleux concernant l'Algérie, largement couverts par la presse algérienne, comment évaluez-vous la position du Parlement français sur cette crise ?
L'Assemblée nationale suit la direction du pays : tout le monde à droite. Il y a un courant centriste (auquel appartient le Premier ministre actuel) qui laisse passer parfois la brutalité du discours de l'extrême droite anti-étrangers, ce qui pose problème. En général, il semble que ce moment politique penche vers les surenchères populistes et racistes, il faut retrouver le calme et mettre l'intérêt du pays en premier, et l'intérêt réside dans l'établissement d'une relation forte et fraternelle avec l'Algérie.
L'accord de 1968 suscite beaucoup de débats en France. Certains estiment qu'il favorise l'immigration algérienne, d'autres le jugent vide de contenu. Pensez-vous qu'il devrait être annulé ou simplement modifié ?
Je ne veux même pas aborder ce sujet, car cet accord est largement exploité. Il est clair qu'il ne reste pas grand-chose de l'accord de 1968, mais puisque certains politiques insistent pour en discuter, qu'ils l'annulent s'ils veulent et nous reviendrons aux accords d'Evian qui garantissent la liberté de circulation !
Vous êtes très impliquée dans la lutte pour la mémoire coloniale concernant l'Algérie, et vous avez obtenu la reconnaissance de l'Assemblée nationale pour les massacres du 17 octobre 1961, qu'est-ce qui vous pousse à travailler sur ce dossier ?
Je suis la fille de migrants algériens qui m'ont appris les valeurs de la dignité, du respect et de la fierté, des valeurs partagées par le peuple algérien. En tant que députée française, je refuse que la mémoire historique soit exploitée pour sacraliser ce que l'armée française a fait de répréhensible. Cela est inacceptable pour moi, c'est une dette que j'ai envers l'Algérie qui est mon pays et celui de mes ancêtres. Par exemple, lorsqu'il s'agit des massacres de Sétif, cela fait partie de mon histoire familiale car ma famille vient de là-bas. La France et l'Algérie sont liées à jamais par des millions de binationalités, de conscrits anciens et d’anciens colons... Nous devons trouver une issue à cette impasse actuelle.
Vous travaillez également sur la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945, où en est ce projet ? Avez-vous d'autres initiatives pour renforcer la cause de la mémoire ?
Cela fait plus d'un an que mes collègues députés et moi travaillons pour obtenir une reconnaissance totale de ce crime par le gouvernement français. Nous avons écouté des historiens et des familles des victimes et nous prévoyons de visiter Sétif le 8 mai prochain pour commémorer le 80e anniversaire de ce massacre. Parallèlement, je travaille à la restitution de certaines propriétés comme les objets de l’Emir Abdelkader, par exemple.
Les déclarations de Jean-Michel Aphatie, dans lesquelles il compare les crimes coloniaux français au nazisme, ont suscité un large débat. Pourquoi, selon vous, la société française reste-t-elle réticente à reconnaître les crimes coloniaux ?
Nous savons que le nazisme s'est inspiré de la même idéologie qui a permis le colonialisme. Une grande partie de la société française ignore complètement l'histoire de l'invasion de l'Algérie. Cela n'est jamais enseigné en France. Nous ignorons tout de Lamoricière, Montagnac et Saint-Arnaud, qui étaient de véritables criminels de guerre.
De plus, la France moderne s'est construite sur la personnalité du général de Gaulle en tant que symbole de la résistance au nazisme, il est difficile pour certains d'accepter que leur pays ait commis des crimes similaires, comme l'utilisation du gaz contre les populations, des crimes similaires à ceux commis par les nazis.
Pour beaucoup, l'Algérie était considérée comme une terre française, au point qu'elle était plus française que la région de Savoie (à l'est de la France, près de la Suisse et de l'Italie) ! Ainsi, il existe une nostalgie qui se transforme en violence lorsque l'on ne voit que la douleur de sa perte sans rappeler que les Algériens n'ont pas demandé aux Français de venir, qu'ils ont souffert d'un système colonial brutal pendant 132 ans.
Vous avez demandé la diffusion d'un documentaire sur l'utilisation par la France des armes chimiques pendant la guerre d'Algérie à l'Assemblée nationale, quel est votre objectif à travers cela ?
L'annulation de la diffusion de ce documentaire sur une chaîne publique est une honte et un comportement indigne de notre pays. Nous avons besoin, en ce moment, de voir la vérité telle qu'elle est, il est essentiel que tout le monde la voie, c'est pourquoi je souhaite le diffuser pour débattre de cette question.
Pensez-vous qu'un jour il y aura une reconnaissance complète de tous les crimes commis par la France en Algérie ?
Actuellement, nous n'allons pas dans cette direction, mais la politique consiste à créer des chemins vers la compréhension, la vérité historique sera toujours du côté des justes. La France est assez forte pour affronter son passé et reconnaître ses erreurs.
Le Parlement algérien envisage d'adopter une loi criminalisant le colonialisme. Quelle est votre position sur cela ?
C'est une évolution historique logique, si nous ne condamnons pas fermement le colonialisme, nous serons condamnés à le répéter, la même logique se passe actuellement à Gaza, la lutte contre le colonialisme est une lutte de toute une vie.
Commentaires
Participez Connectez-vous
Déconnexion
Les commentaires sont désactivés pour cet publication.