
38serv
Aucune perspective de retour à la normale ne semble se dessiner dans les relations entre l'Algérie et la France. De plus, le côté français ne semble pas animé d’une volonté sincère d’apaisement. Les relations évoluent rapidement vers une rupture politique, économique et commerciale.
Le président Tebboune est désormais convaincu que son homologue français, Emmanuel Macron, représentant de l’institution officielle française, adopte des politiques et des positions vis-à-vis de l’Algérie qui ne reposent ni sur des intérêts communs ni sur un respect mutuel.
La relation entre les deux présidents a-t-elle atteint un point de rupture ? Pour replacer cela dans son contexte, les relations bilatérales ont été marquées ces dernières années par des tensions, notamment sur la mémoire coloniale, l’immigration et des différends politiques. Malgré ces tensions, Tebboune et Macron ont maintenu un certain niveau de communication, et les relations n’ont jamais été totalement rompues.
Le terme « rupture » pourrait désigner des périodes de forte tension, mais il était difficile de considérer que la relation entre les deux pays avait franchi un point de non-retour, étant donné que les canaux diplomatiques étaient toujours activés pour préserver le dialogue.
Toutefois, la crise politique actuelle entre les deux pays semble sans précédent à bien des égards. À ce stade, aucun signe ne laisse entrevoir une possibilité de retour à la situation d’avant juillet 2024.
Tebboune : "Nous perdons notre temps avec le président Macron"
Le président Abdelmadjid Tebboune a affirmé sans détour : " Le climat est délétère. Nous perdons notre temps avec le président Macron", tout en précisant qu’il souhaite éviter " une séparation qui deviendrait irréparable ". Dans une interview accordée au journal L’Opinion, le 2 février dernier, il a souligné que " Pour moi, la République française, c’est d’abord son Président ".
Cela signifie clairement que la campagne agressive menée par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau contre l’Algérie n’a aucun impact sur lui et que la relation d’égal à égal entre les deux pays reste exclusivement du ressort des deux présidents.
Depuis 2020, Tebboune et Macron s’étaient engagés à tourner la page du passé et à régler les questions mémorielles. Cependant, la relation entre les deux pays a connu des hauts et des bas. Cela n’a pas empêché les deux présidents de signer "la Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé" en août 2022, lors d’une visite d’Emmanuel Macron en Algérie, qualifiée de "très réussie" par la presse française.
Une commission mixte d’historiens a été créée pour travailler sur la mémoire en dehors des enjeux politiques. Macron a également multiplié les gestes d’apaisement en reconnaissant officiellement la responsabilité de l’État français dans certains crimes commis pendant la guerre de libération, notamment les assassinats de Maurice Audin, Ali Boumendjel et Larbi Ben M’hidi.
Tebboune avait d’ailleurs salué certaines prises de position courageuses de Macron sur la mémoire, le qualifiant de président "d’une autre génération", n’ayant "aucun lien avec le colonialisme", tout comme 65 % des Français, qui ne partagent pas les idées de l’extrême droite.
Tebboune en pleine colère et refuse les appels de Macron
Les déclarations médiatiques tendues et les positions rigides, à l’image de celles du président Macron lorsqu’il a affirmé, dans une interview au journal Le Monde le 2 octobre 2021, que le "système politico-militaire algérien propose à son peuple une histoire officielle qui ne repose pas sur des faits", ont accentué les tensions entre les deux pays.
Mais l’escalade a pris une ampleur inédite lorsque Macron a remis en question l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation française, en déclarant : "Y avait-il une nation algérienne avant la colonisation française ?". Ces propos, tenus lors d’une rencontre à l’Élysée avec des jeunes issus de familles liées à la guerre d’Algérie, ont suscité une indignation immédiate en Algérie.
En réponse, Alger a décidé du rappel immédiat de son ambassadeur en France et de la suspension des autorisations de survol de son espace aérien pour les avions militaires français participant à l’opération Barkhane au Sahel.
D’après le journal allemand Der Spiegel, ces déclarations ont tellement irrité le président Tebboune qu’il "refusait de répondre aux appels téléphoniques de Macron". Dans une interview accordée à ce journal le 5 novembre 2021, Tebboune a réagi avec fermeté :"Macron ne blesse pas seulement l’histoire d’un peuple, il insulte les Algériens. Ce qui est ressorti ici, c’est la vieille haine des colons. Mais je sais que Macron ne pense pas ainsi. Pourquoi a-t-il dit cela ? Probablement pour des raisons électorales."
Il a également souligné la similitude entre cette position et celle de l’extrême droite française, notamment Éric Zemmour, qui défend depuis longtemps l’idée que "l’Algérie n’était pas une nation avant la colonisation, et que seule la France l’a façonnée".
Interrogé sur la question des excuses de la France pour son passé colonial, Tebboune a clarifié :
"Notre pays ne veut pas des excuses de Macron pour ce qui s’est passé en 1830 ou 1840. Mais nous voulons une reconnaissance pleine et entière des crimes commis par la France."
Emmanuel Macron, qui avait pourtant reconnu en 2017 que "la colonisation était un crime contre l’humanité", a ensuite multiplié les gestes contradictoires. Par exemple, il a demandé à l’Algérie de libérer l’écrivain Boualem Sansal, déclarant que "son emprisonnement nuisait à l’image de l’Algérie".
Ces propos ont été perçus par Alger comme une "ingérence inacceptable", selon un communiqué de son ministère des Affaires étrangères. En conséquence, le retour de l’ambassadeur algérien en France a été retardé de plus de six mois, ce qui témoigne de la profondeur de la crise.
En septembre 2024, Macron a tenté une nouvelle médiation en envoyant son conseillère spéciale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, Anne-Claire Legendre, en Algérie, juste après la réélection de Tebboune pour un second mandat. Mais cette initiative n’a pas abouti à une normalisation des relations.
Face à la persistance des tensions, le président Tebboune a exclu toute visite en France à court terme. Dans une interview télévisée en octobre 2024, il a utilisé l’expression historique "Je ne vais pas à Canossa", signifiant qu’il refuse de se soumettre à une humiliation diplomatique.
Cette déclaration reflète l’approfondissement du fossé entre les deux dirigeants sur plusieurs dossiers majeurs, notamment la question mémorielle et la gestion des crises diplomatiques.
Un point de rupture supplémentaire a été atteint en février 2023, lorsque Tebboune a ordonné le rappel immédiat de l’ambassadeur d’Algérie en France, en réaction au rapatriement clandestin de l’opposante Amira Bouraoui via la Tunisie, une opération vivement condamnée par Alger et ayant fait l’objet d’une protestation officielle.
Macron cède à l’extrême droite
Le dossier de l’immigration et de la circulation des personnes est un autre sujet ayant alimenté de vives tensions entre les présidents Tebboune et Macron.
L'incident du refus par les autorités algériennes d'accueillir des citoyens algériens expulsés de France, qui ont fini par retourner sur le sol français, a exacerbé ces tensions. L’Algérie reprochait à la France de ne pas avoir respecté les procédures prévues par les accords bilatéraux.
Le premier mandat d’Emmanuel Macron a été marqué par trois grandes crises – sociale, sanitaire et internationale.
Malgré une popularité en déclin, il a été réélu en 2022. Cependant, ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale, il a vu son discours pencher vers la droite. En juin 2024, il a dissous la chambre basse du Parlement, ce qui l’a placé dans une situation inédite sous la Cinquième République.
Le tournant majeur dans la politique de Macron envers l’Algérie semble avoir eu lieu après son revers politique au second tour des législatives de juillet 2024, où il a perdu sa majorité absolue à l’Assemblée nationale. Ce résultat a compliqué sa capacité à gouverner, face à une percée significative de l’extrême droite et de la gauche. Autrement dit, l’alliance présidentielle s’est retrouvée avec une majorité relative, insuffisante pour gouverner seule, le poussant ainsi à s’appuyer sur l’extrême droite.
Macron : Après les promesses… la grande trahison
Ce tournant a pris une nouvelle dimension lorsque Macron a reconnu, le 30 juillet dernier, la "souveraineté marocaine" sur le Sahara occidental, dans le cadre de ce qui est appelé le "plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental".
Macron avait pourtant promis au président Tebboune qu'il résisterait fermement aux divers lobbies français qui cherchent à imposer un rapprochement exceptionnel avec le Maroc en reconnaissant sa souveraineté sur le Sahara occidental. Il avait assuré à son homologue algérien qu’il ne s’écarterait pas de la position traditionnelle de la France adoptée depuis 2007.
Dans une interview accordée au journal français L’Opinion, le président Tebboune a déclaré : "Nous avons discuté avec le président Macron pendant plus de deux heures et demie en marge du sommet du G7 à Bari, le 13 juin dernier. Il m’a alors informé qu’il comptait franchir le pas et reconnaître la "marocanité" du Sahara occidental, ce que nous savions déjà. Je l’ai mis en garde en lui disant : "Vous commettez une grave erreur ! Vous n’en tirerez aucun bénéfice, mais vous nous perdrez", ajoutant : "Vous oubliez que vous êtes un membre permanent du Conseil de sécurité, un membre censé défendre la légitimité internationale".
Le président Tebboune a perçu ce revirement de la France sur la question sahraouie comme une trahison de Macron et de ses promesses mensongères. Fin juillet 2024, le ministère des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l'étranger a rapidement annoncé le rappel immédiat de l'ambassadeur d’Algérie en France.
De son côté, Macron a déclaré sur France Inter : "J’ai un grand respect pour le peuple algérien et je maintiens de véritables relations amicales avec le président Tebboune".
Cependant, la réalité démontre le contraire, puisque l'Élysée adopte une double approche dans la prise de décision et dans l’expression des positions officielles de l’État français. Il est évident que le président Macron répartit les rôles en fonction des équilibres politiques fragiles et des pressions exercées par l’extrême droite à travers le ministère de l’Intérieur, contrôlé sans partage par son ministre, Bruno Retailleau.
Ce dernier, connu pour ses ambitions politiques, garde un œil sur la présidence du parti Les Républicains (la droite) et un autre sur l’élection présidentielle de 2027. Il a fait de l’Algérie un "bouc émissaire" pour servir ses propres objectifs politiques, quitte à provoquer une rupture totale des relations entre l’Algérie et la France.
Actuellement, les relations entre Tebboune et Macron traversent une phase extrêmement critique, marquée par des tensions croissantes dues aux mesures perçues comme provocatrices par les deux parties.
Le président Tebboune a rappelé dans l’une de ses déclarations : «Je maintiens le cheveu de Mu’awiya», et attendait de son homologue français des positions claires et constantes pour rétablir les canaux diplomatiques et éviter une rupture totale. Il a insisté sur la nécessité d’éloigner les relations bilatérales du point de non-retour, qui pourrait causer des dommages considérables aux intérêts vitaux des deux pays, loin des menaces et des ultimatums imposés par l’extrême droite française, qui cherche à imposer un "bras de fer", une méthode indigne dans la diplomatie entre deux États souverains.
Les récents développements, notamment la remise par le secrétaire général du ministère des Affaires étrangères à l’intérimaire de l’ambassade de France d’une note verbale exprimant la réponse officielle des autorités algériennes au projet français, témoignent de la tension persistante. Cette note concernait une liste de citoyens frappés d’une décision d’expulsion, incluant 60 migrants clandestins algériens qualifiés de "dangereux" par Retailleau. L’Algérie a catégoriquement rejeté cette demande, refusant même d’étudier cette liste, tout en appelant la France à suivre les procédures consulaires habituelles entre les préfectures françaises et les consulats algériens.
À présent, le président français se retrouve face à deux choix : soit faire preuve de sagesse et de retenue dans la gestion de cette crise en respectant les usages diplomatiques, soit couper définitivement la "Chira de Muawiya"... et à ce moment-là, les regrets ne serviront à rien.