
Le président de l'Assemblée populaire nationale, Ibrahim Boughali, a officiellement lancé le débat sur la loi criminalisant le colonialisme français en Algérie, marquant un tournant radical dans la position concernant cette législation, particulièrement avec l'arrêt des efforts de réconciliation mémorielle entre les deux pays.
Cette position intervient à un moment où en France, des voix s’élèvent pour promouvoir le rôle positif du colonialisme, au moment où des partis politiques, des organisations de la famille révolutionnaire et des militants des droits humains ont exprimée la volonté de faire adopter une législation criminalisant le colonialisme. Il est à noter que la France elle-même n’a pas hésité à adopter une loi, la loi du 23 février 2025, qui vante le rôle positif du colonialisme et les gloires de la France dans ses anciennes colonies, notamment l'Algérie. Ces dernières années ont vu une tendance à réhabiliter les symboles de l'extermination en Algérie, qu’il s’agisse du général Bugeaud, responsable de la destruction de tribus algériennes, ou du tortionnaire Jean-Marie Le Pen, décédé en janvier dernier, qui a été honoré politiquement par des figures de l'actuel gouvernement français.
Les premières tentatives d'adopter une loi pour criminaliser le colonialisme remontent à 2001, lorsque le fils du martyr Mohand Arezki Ferrad, soutenu par un groupe de députés dissidents, proposa un projet de loi en trois articles. L'article 1er stipulait que les opérations militaires françaises contre le peuple algérien, portant atteinte à sa vie, sa souveraineté, sa dignité, sa liberté, seraient considérées comme des crimes contre l'humanité. L'article 2 précisait que les crimes du colonialisme français en Algérie ne seraient pas soumis à la prescription. L'article 3 réclamait des compensations pour les préjudices matériels et moraux subis à la suite des crimes énoncés dans l'article 1er, considérant ce droit comme légitime pour l'État algérien, les associations et les individus.
Le député quitta le conseil avant que son projet ne puisse suivre son chemin législatif, en raison des oppositions au sein du bureau, des groupes parlementaires et des autorités politiques de l'époque, qui se caractérisaient par une normalisation rapide des relations bilatérales avec la France, et où ce projet était perçu comme incompatible avec les accords d’Évian que la France menaçait de remettre en cause.
Au cours du mandat suivant (2002-2007), des tentatives pour faire adopter une législation similaire furent relancées, aboutissant en 2007-2012 à une proposition soutenue par le député du Front de libération nationale, Moussa Abdi, avec le soutien d'environ 120 parlementaires. Contrairement aux propositions précédentes, ce projet parvint au gouvernement pour avis, mais fut également rejeté sous prétexte qu'il nuirait aux relations algéro-françaises.
Le projet, composé de 20 articles, proposait la création de tribunaux spécialisés pour juger les responsables des crimes du colonialisme, ou leur poursuite devant des tribunaux internationaux. Il préconisait également de criminaliser toutes les actions criminelles menées par la France en Algérie et de récupérer les archives algériennes confisquées par la France.
Le projet fut mis en veille après les élections de 2012, en raison de l'opposition des autorités et du départ de nombreux soutiens de l'initiative du parlement. Cependant, en 2019, une nouvelle tentative fut lancée par le député Kamel Belarbi, portant les mêmes revendications concernant la criminalisation du colonialisme et des crimes commis par la France, et appelant la France à reconnaître ces crimes, à présenter des excuses et à indemniser les victimes. Le projet de loi stipule que "la demande de reconnaissance par la France de ses crimes et de ses actes durant son occupation de l'Algérie entre 1830 et 1962, et la demande de pardon, est un droit légitime du peuple algérien non négociable".
Ce projet souligne la "responsabilité de l'État français pour tous les crimes commis par ses armées contre le peuple algérien pendant l'occupation", et affirme que ces crimes ne se prescrivent pas, qualifiant des actes tels que le génocide, les crimes contre l'humanité, et les crimes de guerre, avec des conséquences persistantes jusqu'à aujourd'hui, comme les mines plantées le long des frontières et les radiations nucléaires dans notre désert. Toutefois, le projet ne connut pas plus de succès que ses prédécesseurs et ne suscita qu'une couverture médiatique.
Au début de la nouvelle législature (2021-2026), des efforts furent relancés par les députés du Mouvement de la société pour la paix, soutenus par 40 parlementaires d'autres blocs, pour proposer une législation condamnant toutes les actions criminelles du colonialisme et réclamant le retour des droits matériels et immatériels volés durant l'agression armée contre le peuple algérien depuis le 14 juin 1830 jusqu'à l'indépendance. Le projet de loi propose des peines de prison de six mois à deux ans et des amendes pour toute personne faisant l'éloge du colonialisme français en Algérie.
Ce projet considère l'État français pleinement responsable des crimes commis par ses armées, y compris les explosions nucléaires, le génocide, les champs de mines, le vol des propriétés et du patrimoine national, et précise que ces crimes ne sont pas soumis à la prescription ni à des lois d'amnistie, conformément au droit international humanitaire. Il maintient la demande de compensations pour les préjudices matériels et moraux.
Le projet de loi inclut également la condition de reconnaissance et d'excuses comme bases pour les relations entre l'Algérie et la France, affirmant que la reconnaissance, les excuses et les compensations sont des droits légitimes du peuple algérien et non négociables. Il oblige l'État algérien à ne pas signer d'accords ou de traités avec la France tant que toutes les conditions de la loi ne sont pas remplies.
Sur le plan officiel, les gouvernements successifs ont adopté un discours cohérent appelant la France à reconnaître ses crimes et tentant d'ouvrir des voies pour un dialogue facilitant une réconciliation historique, ce que le président Abdelmadjid Tebboune a exprimé en suivant la position de son homologue français Emmanuel Macron, en obtenant des concessions symboliques sans changer de cap. Ce processus a été traduit par des négociations avec la France sur des dossiers conflictuels sous la présidence de François Hollande, notamment avec la création de groupes de travail sur les disparus de la guerre de libération.
En 2020, 24 crânes de dirigeants de révoltes populaires ont été récupérés et enterrés, et un aveu symbolique de la responsabilité française a été obtenu concernant les exécutions d'Ali Boumendjel, du martyr Larbi Ben M’hidi et de Maurice Audin. Cependant, les efforts de réconciliation mémorielle ont cessé après des différends survenus ces derniers mois.