L’écrivain franco-algérien Kamel Daoud n’est pas le premier auteur originaire d’Afrique et du monde arabe à remporter le prestigieux prix Goncourt, avec son roman controversé (Houris). Avant lui, le Sénégalais Mohamed Mbougar Sarr avait reçu ce prix en 2021, la Marocaine Leïla Slimani en 2016, le Franco-Libanais Amin Maalouf en 1993 et le Franco-Marocain Tahar Ben Jelloun en 1987. Cependant, Daoud pourrait bien être le premier écrivain à recevoir ce prix sous les feux d’une polémique l’accusant de trahison.
Dès l’annonce, hier, de la distinction de Kamel Daoud, âgé de 54 ans, les médias en France et en Algérie, ainsi que dans d’autres pays liés historiquement à ces deux nations, ont largement commenté cette récompense. Ces analyses et réactions reflètent une vive polémique dans les milieux littéraires et culturels, polarisant le débat autour de Daoud, l’écrivain et l’homme.
Ce qui divise la scène culturelle en Algérie ne concerne pas uniquement le contenu Houris. Le roman évoque les douleurs de la décennie noire, période de guerre civile en Algérie, ainsi que les dispositions de la loi de réconciliation nationale de 2006, qui interdit de remuer les "plaies de la tragédie nationale".
Ce débat touche particulièrement Kamel Daoud lui-même : le romancier, que beaucoup de critiques accusent de se flageller dans les médias français pour plaire à ces derniers, est perçu par certains comme cherchant à être "plus français que les Français".
Entre félicitations discrètes et indignation face aux positions de l’auteur, les aspects littéraires et personnels de Daoud reviennent sur le devant de la scène, le poussant lui-même, ainsi que l’Académie Goncourt, à sortir de leur silence.
L’écrivain et sociologue algérien Nacer Djabi a commenté la distinction de Daoud dans une publication sur Facebook, déclarant : "Il n’est pas nécessaire d’approuver tout ce que dit Kamel Daoud pour le féliciter de son prix littéraire… Félicitations", soulignant ainsi l’inutilité de polémiquer sur la personne de Kamel Daoud dans une célébration littéraire.
Boudjedra, premier critique
Cependant, la perspective de Djabi n’est pas partagée par de nombreux intellectuels, journalistes et écrivains algériens, qui doutent que la consécration de Daoud soit purement littéraire. Parmi ses détracteurs les plus célèbres, figure l’écrivain Rachid Boudjedra, qui a déclaré que Daoud "n’a presque pas d’importance dans le monde littéraire" et qu’il est un auteur qui "se conforme aux attentes de l’entité français". Boudjedra a également affirmé que Daoud "manifeste un profond mépris pour lui-même, pour son peuple et pour sa langue maternelle, tout cela pour plaire aux médias et éditeurs français". Boudjedra a exprimé cette position dans son livre Les Contrebandiers de l'Histoire, qui dénonce les écrivains qu’il accuse d’aller jusqu’à sympathiser avec l’ancien colonisateur en rejetant leur propre société.
Houris, roman qui décrit le calvaire d’une femme algérienne enceinte pendant la décennie de sang, qui a été torturée au point de perdre une partie de son corps à la suite d’une attaque de groupes terroristes, est présenté par l’Académie Goncourt comme un témoignage vivant des événements tragiques qu’a connus l’Algérie durant cette période. Philippe Claudel, président de l’Académie Goncourt, a qualifié l’œuvre de Daoud de "mélange de poésie et de tragédie" qui "exprime les souffrances d’une période sombre de l’histoire de l’Algérie, notamment celles des femmes". Claudel a ajouté que le roman "illustre à quel point la liberté littéraire permet de décrire la réalité et de dessiner, aux côtés de l’histoire d’un peuple, un chemin parallèle pour sa mémoire".
Une contradiction dans le parcours de Daoud est également relevée par certains observateurs, puisqu’il aurait été sympathisant d’un courant islamiste radical dans les années 1990, une période marquée par la montée de l’extrémisme en Algérie. De plus, il a été condamné par le tribunal d’Oran à une peine de prison et à une amende pour violence conjugale, un passé qui contraste avec l’image de défenseur des droits des femmes qu’il promeut dans ses œuvres.
Un autre aspect controversé de l’écrivain est son positionnement sur le conflit israélo-palestinien. Après les événements du 7 octobre 2023, Daoud a publié dans Le Point une "Lettre à un Israélien inconnu" dans laquelle il exprime sa sympathie envers les Israéliens, décrivant leur "besoin de sécurité" en raison de siècles de persécutions. Dans cet article, il écrit : "J’ai du mal à regarder les images des civils tués à Gaza, non pas parce que je veux vous tuer ou vous blâmer, mais parce que j’ai du mal à trouver ma voix et mon chemin. Après des décennies, j’ai enfin compris votre désir, Monsieur (le soldat israélien), de vivre quelque part, dans un monde marqué par la discrimination…".