"Il existe des silences qui protègent et des mots qui blessent... Il existe des critiques éclairantes et d'autres humiliantes."
C’est par cette introduction poignante que l’historien Farid Belkadi, celui qui a découvert en 2021 les crânes de résistants algériens conservés au Musée de l’Homme en France, a entamé une courte lettre adressée à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté depuis la mi-novembre 2024.
Il écrit notamment : « Tes mots, tes livres, lancés sans considération, sans tendresse, sans sincérité, comme s’ils ne venaient plus de la patrie, mais d’un balcon élevé surplombant le public algérien, à Saint-Germain-des-Prés ».
Dans cette lettre publiée sur le site de la Fédération nationale de la pensée libre en France, Belkadi critique les positions et prises de parole de Sansal jugées hostiles à l’Algérie. Il poursuit :
« Toi qui n’as pas le talent d’un grand écrivain comme Kateb Yacine… Nous ne parlons pas ici d’interdire la critique, l’Algérie, comme toute nation vivante, doit être sujette au questionnement, au doute, voire à la condamnation parfois, mais toute critique n’est pas juste, toute colère n’est pas courageuse, toute franchise n’est pas loyauté ».
Entre les lignes, l’historien dessine la limite entre la critique constructive et militante, et celle motivée par la rancune, les intérêts idéologiques ou politiques.
« Quand tu parles de ton pays, l’Algérie, qui t’a tout donné, comme d’un navire coulé, irrécupérable, corrompu ou irrémédiablement fanatique, tu ne décris pas l’Algérie. Tu renforces plutôt l’image rêvée par ses ennemis. Tu donnes ta voix à ceux qui, depuis des décennies, tentent de nous convaincre que le peuple algérien ne mérite ni sa terre, ni son drapeau, ni sa liberté, que l’Algérie était une sorte de désert sans nom, une simple invention française », poursuit Belkadi avec émotion et lucidité.
Ce qui attriste Belkadi dans les paroles de Sansal, ce n’est pas la rigueur, mais bien le mépris, l’absence d’espérance, et le manque de pudeur. Il souligne que « l’on peut accuser sans insulter, désespérer sans mépriser le peuple dont on est issu ».
Et de rappeler que l’Algérie est certes imparfaite, encore meurtrie par les contradictions du passé colonial, paralysée par cet héritage, tiraillée entre l’espoir et la résignation… mais elle est vivante. « Elle n’est pas finie, et elle ne mérite pas d’être enterrée par ceux qui se disent ses enfants », écrit-il.
« Le mot qui guérit est celui qui est juste, enraciné, qui connaît la terre, les douleurs, les luttes, les mains calleuses, les prières murmurées ».
« Tes mots, bien souvent, semblent ne plus parler de nous, mais seulement des idées que tu te fais de nous », a-t-il enchainé.
Et d’ajouter : « Nous ne voulons pas d’une Algérie bâillonnée. Mais nous ne voulons pas non plus d’une Algérie méprisée, réduite à ses pires défauts, comme s’ils étaient sa seule réalité ».
Ce pays, dit-il, a ses ombres mais aussi de belles lumières, des gardiens, des bâtisseurs, de brillants artistes, d’innombrables ingénieurs, médecins, poètes silencieux…
Enfin, l’historien s’adresse à ceux qui ne croient plus, à ceux qui ont quitté le navire en jurant qu’il coulerait :
« Tant qu’il restera un homme ou une femme qui croit, qui construit, qui transmet, l’Algérie ne sera jamais vaincue. Elle existera toujours. »
Pour rappel, Boualem Sansal a été arrêté le 16 novembre 2024 et inculpé notamment pour atteinte à l’unité nationale. Il a reçu le soutien de l’extrême droite française, ce qui a ravivé les tensions diplomatiques entre l’Algérie et la France.
Le président français Emmanuel Macron a évoqué son cas lors de son échange téléphonique avec le président algérien, le 31 mars dernier. La France espère une mesure de grâce en sa faveur.
Rédaction
11/04/2025 - 17:07

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11/04/2025 - 17:07
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