Abdelaziz Ziari a présidé l’Assemblée populaire nationale entre 2007 et 2012 et s’est chargé de cinq ministères, débutant en 1991-1992 et concluant avec le portefeuille de la santé (2012-2013). Il revient dans notre entretien sur les tensions actuelles avec la France.
Vous êtes un ancien responsable d’État. Pensez-vous que les relations entre l’Algérie et la France ont atteint un point de non-retour ? En d’autres termes, sommes-nous proches d’une rupture définitive ?
Pas encore, mais elles s’en approchent progressivement. L’attitude des Français dans la crise actuelle a été marquée par l’escalade, contrairement à la nôtre, qui a fait preuve de sagesse. À mon avis, le président Tebboune a géré la situation avec retenue, contrairement à l’autre partie, influencée par l’extrême droite, dont je suis convaincu qu’elle n’a jamais accepté l’indépendance de l’Algérie ni son exercice de souveraineté.
Je suis également convaincu qu’ils n’ont pas digéré le recul du rôle de la France dans le monde, dont l’influence s’est réduite à ses frontières régionales. J’ai entendu un responsable français dire que les élites dirigeantes en France veulent traiter l’Algérie dans un esprit néocolonial. C’est pourquoi je pense qu’ils n’acceptent pas que l’Algérie soit souveraine et les traite d’égal à égal.
L’origine des tensions actuelles entre les deux pays est l’annonce du soutien de la France au plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, et la réaction algérienne à cette prise de position. Pensez-vous que cela explique à lui seul l’ampleur de la détérioration des relations bilatérales ?
À mon sens, cela reflète surtout une rancœur historique venant de la France. Une rancœur qui remonte à l’indépendance et qui traduit un refus de voir l’Algérie adopter une politique indépendante et agir uniquement en fonction de ses propres intérêts, sans prendre en compte ceux des grandes puissances, qu’il s’agisse de la France, de la Russie ou des États-Unis.
99 % des pays anciennement colonisés par la France sont restés sous son influence après leur indépendance, au point où Paris leur a imposé des dirigeants et des Premiers ministres au service de sa politique. Mais cette influence s’est effondrée récemment, comme on l’a vu au Mali, au Niger et au Tchad. L’Algérie, elle, a résisté à toute tentative d’ingérence française après l’indépendance, notamment durant la décennie noire (les années 1990 marquées par la guerre civile).
Je pense que la France avait parié sur l’effacement de l’esprit de résistance chez les Algériens après le départ de la génération de la Révolution, espérant ainsi améliorer ses relations avec l’Algérie selon ses propres conditions.
Vous faites allusion à Bernard Kouchner, ancien ministre des Affaires étrangères, qui disait en 2003 qu’il était impossible d’avoir des relations normales avec l’Algérie tant que les anciens du FLN étaient au pouvoir ?
C’est exact. Peut-être que les Français ont constaté avec le temps que les vétérans de la guerre de libération n’étaient plus aux commandes, et ils ont cru que traiter avec leurs successeurs serait plus facile. Mais cela n’est pas arrivé.
Ils ont compris que ce qui nous oppose à eux ne peut être oublié facilement. Comme l’a dit feu Houari Boumédiène "On tourne la page, mais on ne l’arrache pas."
Selon vous, y a-t-il d’autres raisons expliquant cette hostilité française envers l’Algérie ?
Oui, notamment le soutien constant de l’Algérie à la cause palestinienne, ce qui dérange sans aucun doute les lobbies sionistes et l’extrême droite, qui contrôlent désormais une partie du pouvoir en France.
Par ailleurs, la situation interne en France a évolué, avec un durcissement inédit du discours sur l’islam et l’immigration, touchant particulièrement les pays d’origine des migrants, dont l’Algérie. À chaque fois que le débat sur les musulmans et les immigrés refait surface, on y associe systématiquement l’Algérie.
Un autre élément a joué dans la crise actuelle l’Algérie a refusé de s’aligner sur la position européenne concernant la guerre en Ukraine. En représailles, la France a cherché à contrarier l’Algérie en soutenant le Maroc sur le Sahara occidental, rompant ainsi avec sa prétendue neutralité sur ce dossier depuis le début du conflit.
La France accuse l’Algérie de ne pas respecter les lois internationales en refusant de reprendre certains de ses ressortissants expulsés et de "détenir un homme âgé et de le priver de soins", en l’occurrence l’écrivain Boualem Sansal..
Pourquoi Sansal est-il venu en Algérie alors qu’il savait que ses écrits et ses actions étaient passibles de sanctions judiciaires ? La justice algérienne a le droit de poursuivre tout citoyen algérien s’il enfreint la loi.
Les Français considèrent que Sansal est un cas humanitaire et que les accusations contre lui relèvent de la liberté d’expression...
Étrange position des Français… Pourquoi Sansal devrait-il bénéficier d’un traitement spécial simplement parce qu’il est français ? À ma connaissance, il y a des Algériens en prison qui souffrent aussi de problèmes de santé, mais qui ne sont pas exemptés de jugement.
La France a décidé d’interdire l’entrée sur son territoire aux "dignitaires" algériens détenteurs d’un passeport diplomatique. Vous en faites partie, seriez-vous prêt à y renoncer ?
Je n’utiliserai jamais ce document pour aller en France après les offenses proférées par ses dirigeants contre l’Algérie. Si ma famille, qui vit en France, veut me voir, qu’elle vienne me rendre visite ici. Les autorités algériennes doivent prendre les mesures nécessaires pour empêcher la France d’exercer tout chantage sur nous via ces passeports.
Quelles mesures préconisez-vous ? Demander aux détenteurs de passeports diplomatiques de les restituer ?
Nous n’avons aucun lien avec la France qui ne puisse être rompu, si ce n’est notre diaspora là-bas, qui est déjà humiliée et entravée dans la pratique de sa religion depuis le début de la crise.
Pensez-vous que l’attachement des dirigeants algériens à la France est davantage psychologique que politique ?
C’est exactement cela, et il faut couper ce lien. Personnellement, bien que ma formation scientifique et professionnelle soit francophone, et que je maîtrise le français mieux que beaucoup de Français, je ne vois aucune nécessité de maintenir des relations avec la France aujourd’hui.
Sur la question des passeports diplomatiques, conseillez-vous aux autorités algériennes d’en interdire l’usage vers la France ?
Il n’est pas nécessaire d’émettre un décret, il suffit que l’État demande aux responsables de ne pas l’utiliser pour se rendre en France. Et s’ils veulent le faire, qu’ils passent par un autre pays de l’espace Schengen.
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